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jueves, 27 de julio de 2023

7. 9. Si la Poësie Italienne a quelque advantage sur la Françoise.

Si la Poësie Italienne a quelque advantage sur la Françoise. 

CHAPITRE IX.

Jean le Maire de Belges en la dedicace de ses deux temples de Venus & de Pallas, nous raconte par forme d' avant-jeu, qu' il s' estoit trouvé en un lieu où deux beaux esprits disputoient laquelle des deux langues devoit emporter le dessus, ou a Françoise ou la Toscane. Chacun d' eux apportant diverses raisons de merite pour le soustenement de leurs dires. Mesmes celuy qui estoit pour le party François soustenoit que nostre langue n' estoit pas moins suffisante que l' autre, pour exprimer en bons termes ce que l' on sçavroit dicter ou excogiter, fust en amours, ou autrement, & alleguoit pour ses garends uns Jean de Mehun, Froissart, Meschinot, les deux Grebans freres, Moulinet, & Chastelain. L' autre au contraire qu' il n' y avoit aucune rencontre de l' une à l' autre, & que la Toscane passoit d' un grand avant-pas la Françoise, comme celle qui mieux à point sçavoit representer ses passions amoureuses & autres conceptions tant en vers, que prose, en quelque subject que ce fust: Et à cette fin produisoit uns Dante, Petrarque & Boccace, qui n' estoient de petits parreins. Grand procés certes contre lequel on ne peut alleguer, ny prescription, ny peremption d' instance. Parce que c' est un renouvellement de querelle qui se fait de jour à autre, entre les François & Italiens quand les occasions se presentent. Au demeurant ny l' Italie, ny la France n' avoient lors produit une infinité de beaux esprits, qui ont diversement embelly leurs vulgaires par leurs escrits. Partant il ne nous sera mal-seant sur ce different des parties, de faire une nouvelle production, & sur le peu que je produiray d' une part & d' autre donner à penser au Lecteur quel jugement il en doit faire. Car pour vous bien dire, je ne voy point que l' Italien ait aujourd'huy grand argument de se glorifier dessus nous par la comparaison des pieces que je vous representeray icy. L' un de leurs plus grands Poëtes est Arioste en son Roland le furieux, qui a divisé son livre par chapitres, qu' il appelle Chants, & chaque chapitre en divers huitains: entre lesquels chapitres, le plus digne est le troisiesme, où le Poëte se dispose de discourir l' advenement & avancement de la race d' Este, c' est à dire des Ducs de Ferrare, en l' honneur desquels il avoit dressé son Poëme. Voyons doncques de quel pied il nous saluë.

Chi mi dara la voce e le parole 

Convenienti à si nobli suggeto! 

Chi l' ale al verso presterà, che vole

Tanto charrivi à l' alti mio concetto? 

Molto maggior di quel furor, che suole 

Ben hor convien, chi mi riscaldi il petto, 

Che questa parte al mio Signor si debbe, 

Che canta gli avi onde origine hebbe.

C' est à dire. Qui me donnera la voix, & les paroles pour un subject si noble? Qui me prestera des aisles pour me faire voler, de sorte que je puisse arriver au point de ma haute conception? Il me faut icy beaucoup plus de fureur que mon ordinaire, pour me reschaufer la poitrine. Car je dedie à Monseigneur ce present Chant, dedans lequel je veux discourir dont ses ancestres prindrent leur source. Ces huict vers furent heureusement representez par ce Sixain de du Bellay sur l' entree de la Complainte du desesperé.

Qui prestera la parole

A la douleur qui m' assole, 

Qui donnera les accens

A la plainte qui me guide, 

Et qui laschera la bride, 

A la fureur que je sens? 

Sixain qui semble contre-balancer le Huitain de l' Arioste. Mais qui lira le premier couplet de nostre Ronsard en son Hymne triomfal qu' il avoit fait cinq ou six ans auparavant sur la mort de la Royne de Navarre ayeule de nostre Roy Henry le Grand, il dira n' y avoir rien de tel, ny en l' Arioste ny en du Bellay. 

Qui renforcera ma voix, 

Et qui fera que je vole 

Jusqu' au ciel à cette fois

Sous l' aisle de ma parole?

Or mieux que devant il faut

Avoir l' estomach plus chaut, 

De l' ardeur qui ja m' enflame 

D' une plus ardente flame: 

Ores il faut que le frein 

De Pegase qui me guide, 

Estant maistre de la bride 

Fende l' air d' un plus grand train. 

Si une amitié que je porte à ma patrie, ou à la memoire de Ronsard ne me trompe, vous le voyez icy voler par dessus les nuës, & Arioste se contenter de rouler sans plus sur la terre. Le semblable dirois-je volontiers d' un Sonnet qu' il emprunta des Amours de Bembe.

Si come suol, poi chel verno aspro e rio 

Parte, e da loco a le stagion migliori,

Uscir col giorno la Cervetta suori

Del suo dolce boschetto, almo natio.

Et hor' super un colle, hor longo d' un rio, 

Lontana de le case é da pastori, 

Gir secura pascendo herbette & fiori, 

Ovunque più la porta il suo desio.

Ne teme de saetta, ô d' altro inganuo, 

Se non quando é colta in mezo il fianco, 

Da buon arcier, chedi nascosto scocchi.

Cosi seuz a temer futuro affanno, 

Moss' io, Donna, quel di, che bei vostr' ochi

M' empiagar lasso, tuto 'l lata mancho, 

C' est à dire: Comme le meschant Hyver nous ayant quitté pour faire place à une meilleure saison, la Biche sort avecques le jour du doux bosquet son naïf repaire, & ores sur une colline, ores l' oree d' un rivage, loin de maisons, & de pastres se va paissant en toute seureté, d' herbelettes & de fleurs, la part où son desir la meine, ne craignant ny fleches, ny tromperies, sinon lors qu' elle se trouve feruë au travers du flanc, par un fin archer qui estoit aux embusches. Ainsi m' en allois-je ne me defiant d' aucun mal futur, le jour que vos beaux yeux, helas, me transpercerent le costé gauche. Il veut dire le cœur. Voyons je vous prie de quelle sorte Ronsard voulut mesnager ce Sonnet au 59. de ses premieres Amours.

Comme un Cheurveil, quand le Printemps destruit 

Du froid Hyver la poignante gelee, 

Pour mieux brouter la fueille emmiellee, 

Hors de son bois avec l' Aube s' enfuit.

Et seul, & seur, loing des chiens, loin de bruit, 

Or' sur un mont, or dans une valee, 

Or' pres d' une onde à l' escart recelee, 

Libre, folastre, où son pied le conduit:

De rets, ne d' arc, sa liberté n' a crainte,

Sinon alors que sa vie est atteinte 

D' un traict meurtrier empourpré de son sang,

Ainsi j' allois sans soupçon de dommage, 

Le jour qu' un œil sur l' Avril de mon aage

Tira d' un coup mille traicts dans mon flanc.

Bembe fut l' un des premiers personnages de son temps en quelque sujet où il s' adonna, tant en Latin que Toscan, toutes-fois je veux croire que s' il revenoit au monde, il voudroit bailler, & son Sonnet, & deux autres de ressoute en contr'eschange de cestuy. Baïf au second livre de sa Francine voulut suivre la piste de Ronsard, mais non avec pareille grace.

Comme quand le Printemps de sa robbe plus belle

La terre parera, lors que l' Hyver depart,

La biche toute gaye à la Lune s' en part

Hors de son bois aimé qui son repos recelle: 

De là va viander la verdure nouvelle,

Seure loin des bergers, dans les champs à l' escart,

Ou dessus la montagne, ou dans le val la part

Que son libre desir la conduit & l' appelle. 

Ny n' a crainte du traict, ny d' autre tromperie,

Quand à coup elle sent dans le flanc le boulet, 

Qu' un bon harquebusier caché d' aguet luy tire. 

Tel comme un qui sans peur de rien ne se deffie,

Dame j' allois le soir, que vos yeux d' un beau traict,

Firent en tout mon cœur une playe bien pire.

Sonnet que je ne veux pas dire n' estre beau, mais si j' en suis creu, il ne sert que de fueille à l' autre. Tout de la mesme façon que Baïf, aussi voyant ces deux Sonnets, j' ay voulu ces jours passez en faire un troisiesme, qui est tel.

Comme le Cerf, lors que l' Hyver nous laisse

Pour faire place à la verde saison, 

Avec le jour sort gay de son buißon,

A fin que d' herbe, & de fleurs il se paisse.

Et or' les monts, or' les eaux il caresse,

Loin des bergers, loin de toute maison,

N' ayant pauvret que les champs pour prison,

Et çà, & là, où son franc pied l' adresse.

De l' arc il n' a, ny de surprise peur, 

Quand à couvert l' arbalestrier trompeur,

Le vient servir d' une meurdriere flesche: 

Ainsi allois-je, helas! quand je te veis, 

Et qu' en mon cœur impiteuse, tu feis, 

De tes beaux yeux une sanglante bresche.

Je me donneray bien garde de dire que cestuy soit de meilleur alloy que celuy de Baïf, car le disant je serois un sot: Bien diray-je que si le sien & le mien n' excedent, pour le moins ne cedent-ils en rien à celuy de Bembe. Des Portes s' est voulu joüer sur ce Sonnet qu' un Poëte Italien fit pour un bracelet de cheveux qui luy avoit esté donné par sa maistresse.

O chiomé, parte de la treccia dôro 

Di qui sè Amor il laccio, ove fui colto 

Qual semplice angeletto, è da qual sciolto 

Non spero esset mai pui, se pria non moro.

Io vi bacio, io vi stringo, io vi amo, e adoro, 

Perche adombrasti gia quel sagro volto, 

Che a quanti in terra sono il pregio ha tolto, 

Ne lascia seuz a invidia il divin choro.

A voi diro gli affauni, & y pensier miei, 

Poi che longi e ma Donna, è parlar sero 

Mi nega aspra fortuna, è gli empi Dei. 

Laßo guarda se amor mi fa ben ciero, 

Quando cercar de scioglierme io do vrei, 

La rete porto, & le catene mero.

Le sens de ce Sonnet est. O cheveux faisans part de la tresse d' or, dont amour fait ses laz, par lesquels je fus pris comme un petit oiseau, sans espoir de m' en deschevestrer que par ma mort, je vous baise, vous estreins, vous aime & adore, pour avoir quelques-fois servy d' umbre à cette sacree face, qui surpasse toutes les autres en beauté, non sans quelque jalousie des Anges. Je vous raconteray mes fascheries & pensees, puis que mon mal-heur, & les Dieux cruels ne me permettent joüyr de la presence de ma Dame pour la gouverner. Helas! je vous prie de considerer si l' amour m' a bien aveuglé, veu que lors que je deurois chercher les moyens pour me deliurer, je porte sur moy mes rets & mes chaisnes.

Cette invention est beaucoup plus riche & pleine de belles pointes que celle de Bembe, laquelle des Portes a voulu imiter en cette façon. Cheveux, present fatal de ma douce contraire, 

Mon cœur plus que mon bras est par vous enchaisné, 

Pour vous je suis captif en triomphe mené, 

Sans que d' un si beau rets je cherche à me deffaire.

Je sçay qu' on doit fuir le don d' un adversaire, 

Toutes-fois je vous ayme, & me tiens fortuné, 

Qu' avec tant de cordons je sois environné: 

Car toute liberté commence à me desplaire.

O cheveux mes vainqueurs vantez vous hardiment 

D' enlacer dans vos nœuds le plus fidele amant, 

Et le cœur plus devot qui fut onc en servage,

Mais voyez si d' Amour je suis bien transporté,

Qu' au lieu de m' essayer à viure en liberté, 

Je porte en tous endroits mes ceps & mon cordage.

Mettez cestuy en la balance avecques l' Italien, vous les trouverez entre deux fers. Or comme j' ay trouvé cette invention fort belle, aussi ay-je voulu coucher de mon enjeu, sous le hazard de le perdre. Moulant sur cette premiere, une autre seconde telle que vous entendrez.

Bracelet qui es fait des cheveux de ma Dame,

Tissu de ses beaux doigts, du Dieu d' amour le las,

Ainçois nœud Gordian, que ny le coustelas,

Ny la mort ne sçavroient denoüer de mon ame. 

O beau don qui m' estreint, qui me lie, m' enflame, 

Je baise mille fois, & mil cet entrelas, 

Qui m' enchaine, & me fait, d' un gracieux soulas

Galiot de l' Amour, chevalier de sa rame:

Ores que mon Soleil s' est eclipsé de moy,

Pour tromper mes ennuis je devise avec toy,

Et faut que nuict & jour, enchaisné, je te porte.

Mais, ô Dieu! fut-il onc plus fantasque discours, 

Que pour me deliurer j' aye vers toy recours,

Toy qui lies mes bras a fin que je ne sorte?

La facilité de la Muse de des Portes l' a souvent porté à ce mesme sujet. Ayant dedans ses amours emprunté plusieurs Sonnets Italiens, lesquels mis au parangon l' un de l' autre, il seroit mal-aisé de juger, qui est le presteur, ou l' emprunteur. Chose que je vous dis, pour monstrer qu' il n' est rien impossible en nostre vulgaire François, selon la rencontre des esprits. Je vous laisse à part une infinité d' autres personnages de marque qui se sont estudiez à l' embellissement de nostre langue, sous le regne du grand Roy François, & depuis, desquels Jean le Maire de Belge n' avoit cognoissance, pour s' estre mis depuis sa mort en credit.

Quoy doncques? entens-je faire juger le procez, qui fut intenté de son temps, & dés pieça pendu au croc? Nenny. Demeurons dedans l' Apointé au Conseil, & que chacun cependant escrive tant d' une part que d' autre. Celuy qui escrira la mieux, & produira meilleures pieces, emportera en fin gain de cause. Chaque langue a ses proprietez naïfves, & belles manieres de parler, qui ne naissent point d' elles mesmes, ains s' enrichissent avec le temps, quand elles sont cultivees par les beaux esprits. Au regard de la nostre elle ne manque d' un ample magasin de beaux mots, pour mesnager nos conceptions bravement, quand elles tombent en bonnes mains. Comme vous pouvez recueillir de ce qui est de plus ou de moins, par les exemples que je vous ay representez en ce Chapitre: Et à tant de ce peu pourrez vous faire, comme je pense, le jugement d' un beau coup. Ab uno disce omneis. Et encore le recognoistrez vous plus amplement par les 2. Chapitres subsequents. Bien clorray-je cestui-cy par cet Arrest: Que les langues n' ennoblissent point nos plumes, mais au contraire les belles plumes donnent la vie aux langues vulgaires, & les beaux esprits à leurs plumes.

martes, 25 de julio de 2023

Livre septiesme. 7.1. De l' origine de nostre Poësie Françoise.

Livre septiesme.

De l' origine de nostre Poësie Françoise. 

CHAPITRE I.

Apres avoir par les six Livres precedens discouru plusieurs particularitez concernans nos anciens Gaulois, & François, les polices, tant seculieres, qu' Ecclesiastiques de nostre France, & à leur suite quelques anciennetez qui ne regardent l' Estat en son general, puis une meslange d' exemples signalez, qui peuvent servir d' edification au Lecteur, il me semble n' estre hors de propos, si je jette maintenant l' œil sur nostre Poësie Françoise. En quoy je pense faire œuvre de merite, de tant plus que si les Poëtes par leurs livres font revivre ceux qui sont morts, j' auray par un privilege special de ma plume, donné la vie à nostre Poësie, recitant son origine, ancienneté, & progrez. Qui est le subject auquel j' ay voüé ce septiesme Livre, & le huictiesme à nostre langue Françoise.

Je diray doncques que la Poësie par nous observee a esté, & est dés pieça en regne dedans nostre France, mais tout d' une autre façon que celle des Grecs & Romains, qui faisoient leurs vers mesurez de certains pieds, & nombres sans rime, & nous faisons les nostres rimez sans nombres, & pieds: Chose commune non seulement au François, mais aussi à l' Italien, Espagnol, Alleman, Anglois, Escossois, & à toutes les nations, qui se meslent de Poëtiser. 

Dont cela soit procedé, je le vous diray au moins mal qu' il me sera possible: Et faut en cecy avoir recours, comme en plusieurs autres choses, aux Romains, desquels sous diverses faces nous rapportasmes plusieurs belles choses à nostre usage, qui ne leur furent pourtant familieres. Quintilian au premier Livre de ses Institutions Oratoires, dit que la Grammaire ne peut estre qu' elle ne soit accompagnee de la Musique, puis qu' elle doit traicter des vers & des rithmes. Qui s' attacheroit seulement à l' escorce de ces paroles, il penseroit qu' il y eust deslors quelques especes de rithmes, dont nous accommodons nos vers, veu que ce passage faict fraterniser les rithmes avecques les vers mesurez Latins: mesmes qu' il dit que par leur douceur, ils avoient grande communication avec la Musique, qui est celle par laquelle on donne le lustre, ou bien (si ainsi voulez que je le die) l' ame à toutes sortes de vers. Toutesfois la verité est que ce mot de rithme n' estoit approprié au vers, comme nous recueillons du mesme autheur, livre 9. & d' Aulugelle livre 15. de ses Veilles Attiques. Diomede le Grammairien voulut depuis passer plus outre. Car il ne douta au premier livre de sa Grammaire Chap. I. de marier la rime & le vers ensemble sous ce titre de Poëtica, Rhithmis, & Metris, mettant par ce moyen l' un & l' autre sous un mesme predicament de la Poësie. Or ce qu' ils appelloient rithmes, estoient certaines clauses que les Orateurs sçavoient mesnager dans leurs Plaidoyez, ou Harangues, pour contenter les aureilles des escoutans: Clauses (dis-je) doux coulantes, mais non liees, & plus libres que les vers mesurez, qui estoient bornez de certaine quantité de pieds, longs, & briefs. Ny pour cela ils n' entendoient que la fin des clauses fust subjette de tomber en paroles de mesme terminaison (qui est toutesfois ce que nous appellons aujourd'huy rithmes en nostre langue) par ce que cela estoit reservé aux Omioteleftes, dont nous parlerons cy apres. De ces clauses doncques nous empruntasmes nos vers, qui se soustiennent, si ainsi voulez que je le die, sans pieds. Lisez ces deux vers de douze à treize syllabes.

Puis que Dieu qui les cœurs des grands Roys illumine, 

Sire vous fait avoir pitié de vos subjects. 

Ou de dix.

Qui voudra voir comme un Dieu me surmonte, 

Comme il r'englace, & r'enflame mon cœur.

Il n' y a aux uns, ny aux autres rien de pareille terminaison aux dernieres paroles, & toutesfois vous ne laissez pas d' y sentir je ne sçay quelle douceur qui ne se peut exprimer: comme mesmes nous voyons que de nostre temps a fait Blaise Viginelle en sa traduction des sept Pseaumes. Je le vous veux representer par un exemple qui de prime rencontre vous semblera ridicule, & neantmoins sert grandement à mon propos. J' ay leu dans un vieux art Poëtique François, qu' entre les especes de nostre Poësie il y en eut une que l' on appelloit Baguenaude, qui sembloit avoir esté de propos deliberé introduite en despit de la vraye Poësie, de quelle marque il baille pour exemple ces vers cy.


Qui veut tres-bien plumer son coq

Bouter le faut en un houzeaux,

Qui boute sa teste en un sac,

Il ne voit goutte par les trouz:

Sergens prennent gens par le nez, 

Et moustarde par les deux bras.


Quand vous lirez un long Poëme faict sur ce moule, vous n' y trouverez ny rithme, ny raison: Ce neantmoins vous y trouverez de la douceur telle que Quintilian entendoit par les clauses bien compassees des Orateurs qu' il appelloit du nom Grec de Rithme. Or outre la douceur qui provenoit de telles clauses, entre les traicts, & affeteries de la Rhetorique, il n' y en avoit point qui chatoüillast tant les aureilles du peuple, que ce que les Grecs appellerent *gr, Les Latins, Similiter desinentia, & nous par adventure non mal à propos, Clauses qui tombent soubs mesmes consonances. C' estoit ce enquoy les Advocats de Rome se joüoient plus de leurs esprits, quand ils vouloient resueiller leurs Juges. Voyez cette piece de Ciceron en son plaidoyé pour Milon, Est enim haec Iudices, non scripta, sed nata lex &c. Vous la trouverez venir au parangon des plus beaux vers de toute l' ancienneté. Ce qui se tourna depuis en telle affectation, & abus, que Lucilius Poëte Satyrique s' en mocqua fort bravement en l' une de ses Satyres, dont Aulugelle rapporte les vers au treiziesme livre de ses Veilles. De là vint que la langue Latine arrivant sur son declin, encores estoit ce une maniere d' escrire infiniment affectee. Ainsi le verrez vous dans les œuvres de sainct Augustin, Symmaque, Sidonius Apollinaris, & Cassiodore, qui pensoient estre des mieux disans de leur temps. Chose mesmement qui s' insinua dedans nostre Eglise: par ce que les Proses que l' on chante en la Messe sont vers rithmez de cinq, six, sept & huict syllabes: Cela à mon jugement fut cause que quand nous entasmes la langue Latine sur nostre Gauloise, nous fismes une meslange de ces clauses choisies que l' on appelloit Rhithmi, & des Omioteleftes, lesquelles unies ensemble, se trouverent si agreables, que l' on les estima outrepasser les vers mesurez des Grecs & Romains. Et à tant se provigna par toute l' Europe en tous les Vulgaires une Poësie telle que nous pratiquons en vers que nous appellons rithmez, par la rencontre, & correspondance qui se trouve aux deux derniers mots, encores que ce ne soit la signification originaire du mot de Rhithmi. De sorte qu' il semble que quand Quintilian faisoit fraterniser en sa langue Latine le Rhithmus & Metrum, dont il parle au premier, & neufiesme livres, c' estoit un taisible prognostic que le mot de rithme seroit quelque jour mis au rang de la Poësie, aussi bien que le vers mesuré, qui estoit ce qu' il appelloit Metrum.